« Une langue est faite pour dire le monde »1. L’Europe a vingt-quatre langues pour le dire, ce monde, et « chaque langue constitue une vision du monde qui lui est propre » 2.

En Europe, vingt-quatre langues officielles : allemand, anglais, bulgare, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, grec, hongrois, irlandais, italien, letton, lituanien, maltais, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovaque, slovène, suédois, tchèque. Sans parler des langues non officielles, parlées par 60 millions d’Européens : la langue de l’Europe, c’est le multilinguisme.

Les langues de l’Europe sont sa richesse, sa particularité, l’expression de sa diversité culturelle... et une richesse économique aussi : l’industrie culturelle contribue au PIB européen davantage que l’industrie lourde. Pour ne pas transformer cette incomparable richesse en handicap, les pays de l’Union européenne (UE) doivent se donner les moyens d’atteindre l’objectif éducatif européen commun : « la langue natale plus deux langues étrangères ».

Les Européens sont prêts. Pour 72 %, tout le monde devrait être capable de parler « plus d’une langue en plus de sa langue natale »3.

C’est possible, ce devrait même être facile. La majorité des Européens, 54 %, peuvent d’ores et déjà tenir une conversation dans au moins une langue supplémentaire, un quart sait en parler au moins deux. Dans huit États membres, dont le Luxembourg (pour 84 % de la population), parler la langue natale et au moins deux langues étrangères est une réalité. Pourquoi ce qui semble simple aussi en Slovénie, par exemple, serait-il si compliqué ailleurs ?

L’Europe a la chance de ces vingt-quatre langues, il ne faut pas la négliger. Il faut parler ces langues, chacun les siennes qu’on en possède plusieurs ou une seule, tout faire pour en faciliter l’apprentissage sans céder à la tentation d’une lingua franca – l’anglais, mais un anglais nécessairement appauvri – qui réduirait les échanges à des opérations technicistes.

Sans même parler de l’uniformité de la vision du monde évoquée plus haut qui en résulterait, refuser l’hégémonie de l’anglais ne relève nullement d’une vision passéiste, bien au contraire. Il s’agit d’anticiper, de prévoir les bouleversements linguistiques qui se préparent en Europe et dans le monde.

Aujourd’hui, si la langue maternelle la plus parlée est l’allemand, l’anglais est la langue la plus maîtrisée dans l'Union (langue natale + langue étrangère).

Mais le modèle actuel, fondé sur la puissance de l’influence angloaméricaine, n’est pas immuable et « les peuples imposent toujours in fine leurs choix linguistiques à leurs élites »4.

Les langues possèdent leur propre logique de développement en fonction de l’influence de la culture et du pays dont elles sont issues. Or, l’anglais est en recul, y compris sur ses terres d’origine. L’allemand, première langue natale en Europe, revient en force ainsi que le français, langue de nombreux nouveaux immigrés dans l’Union européenne.

L’expérience européenne du multilinguisme et de la diversité est un atout car demain l’anglais ne sera pas la seule langue planétaire, et les langues de l’Europe ouvriront des portes dans un monde où l’aptitude aux relations interculturelles sera essentielle : une Europe forte de son multilinguisme saura mieux s’adapter au plurilinguisme mondial.

Les langues de l’Europe ? Elles sont une clé pour l’avenir.

1. EriK Orsenna.
2. Michaël Oustinov.
3. Eurobaromètre spécial 386.
4. Source : GEAB (Global Europe Anticipation Bulletin – « Bulletin d’anticipation pour toute l’Europe »), n° 13.

(Article extrait de la revue DLF n° 252, parue au 2ème trimestre 2014).

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